Guillaume Matheron

Data scientist, PhD in computer science

Comparer DPE et consommation a-t-il un sens ?


Récapitulatif des publications à ce sujet :


Hello Watt a publié le 4 janvier une étude concluant à un manque de corrélation entre le DPE d’un logement, censé évaluer sa performance énergétique, et sa consommation d’énergie mesurée par les compteurs communicants.

Pourquoi cette étude ?

Dans sa mission de favoriser la transition énergétique des ménages, Hello Watt propose une application gratuite de suivi de sa consommation énergétique via les compteurs Linky pour l’électricité et Gazpar pour le gaz.

Pour compléter son offre et suite à l’annonce des restrictions qui seraient appliquées aux passoires thermiques, Hello Watt a cherché à estimer le DPE des logements dont la consommation était connue.

Cependant, contre toute attente l’équipe data a conclu que connaître la consommation d’un logement ne permettait pas d’estimer le DPE de façon fiable.

Comment est calculé le DPE ?

Suite à cette étude, de nombreux acteurs du diagnostic ont réagi avec plus ou moins de virulence, le principal reproche étant qu’on ne peut pas comparer directement DPE et consommation, car le DPE se fonde sur un usage standard du logement.

La Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM) a publié un communiqué de presse en ce sens, et un article de diagnostiqueur-immobilier.fr rappelle à juste titre que le ministère de la transition énergétique indique : 

cette estimation ne peut être comparée aux factures réelles des usagers

Comme le résume bien l’article de infodiag en réaction à notre étude, dans le cadre du DPE-3CL 2021 qui est la méthode utilisée pour pour les diagnostics que nous avons étudiés :

“on s’intéresse uniquement aux performances du bâti et de ses équipements, peu importe qui occupe le bien. Qu’une personne vive dans son pavillon deux mois de l’année, ou qu’elle soit présente 365 jours /365, sept jours sur sept, 24h sur 24, peu importe, l’estimation reste la même. Le législateur en a voulu ainsi pour faciliter la comparaison entre les biens à l’achat ou la location”

Donc le DPE, même s’il est exprimé en kWh/an, ignore délibérément les facteurs pouvant influencer la consommation qui ne sont pas liés au bâtiment lui-même. Certains postes de dépense sont même totalement exclus comme la cuisine ou l’électroménager.

Cela dégrade sa fiabilité en tant qu’indicateur de consommation, et en échange en fait un meilleur indicateur pour guider la rénovation des bâtiments.

Alors comparer DPE et consommation a-t-il un sens ?

Suite à la publication de l’étude, certains acteurs se sont insurgés car comparer une consommation réelle et un DPE n’aurait aucun sens. Cependant, il s’agit là exactement de la méthode de “DPE sur facture” qui était utilisable jusqu’au 1er Juillet 2021.

Alors certes la nouvelle méthode 3CL est censée être plus fiable et mieux représenter la qualité énergétique du bâtiment, mais nous défendons qu’il est très pertinent de la comparer avec la consommation réelle aussi bien individuellement qu’en moyenne.

Après tout, on  rénove les logements dans le but de réduire leur consommation d’énergie avant tout plutôt que pour augmenter une note, et Il y a d’autres moyens de réduire la consommation comme la sensibilisation des particuliers ou la mise en place d’outils de suivi de la consommation.

À quoi s’attend-on en comparant DPE et consommation moyenne par classe ?

Même si à l’échelle d’un unique logement les usages peuvent faire varier la consommation bien plus que l’efficacité énergétique du logement, en effectuant une moyenne sur un grand nombre de logements on s’attendrait à ce que ces variations s’annulent.

Par exemple, la classe C regroupe les logements donc la consommation estimée (pour les usages pris en compte par le DPE) est entre 110 et 180 kWh/an/m² pour un usage standard.

Si l’usage standard qui est pris en compte par la méthode 3CL est un comportement moyen réaliste, alors on s’attend à ce que la consommation moyenne d’un logement de classe C pour les usages pris en compte par le DPE soit d’environ 145 kWh, et on peut rajouter 50% pour les usages non pris en compte (électroménager, numérique… d’après l’ADEME, les usages pris en compte pour le DPE représentent en moyenne 66% de la consommation des logements) ce qui nous amène à 217 kWh/an. 

Pour la classe F on s’attend à une consommation moyenne de 375 kWh/an/m², soit 562 kWh/an/m² une fois tous les usages intégrés.

Qu’observe-t-on en termes de consommation moyenne par classe DPE ?

Dans l’étude présentée ici, 462 logements sont considérés, contre les 221 de l’étude initiale. En revanche, on se limite aux classes C à F car les autres classes contiennent moins de 20 logements, ce qui pourrait fausser les moyennes.

On s’attendait à ce que les logements mieux classés en termes de DPE consomment moins, et c’est le cas, heureusement ! Le graphique ci-dessous montre que les logements mal notés consomment plus que les logements bien notés.

DPE vs consommation réelle de 462 logements, avec consommation moyenne pour les classes comportant au moins 20 logements

En revanche, la tendance est finalement assez faible :

  • Si on reprend nos estimations, pour la classe C les 195 kWh/an/m² sont assez proches des 217 estimés. 
  • Par contre pour la classe F on s’attendait à avoir une consommation de 562 kWh/an/m², et on en est très loin puisque les logements F ne consomment que 256 kWh/an/m² en moyenne.

C’est encore plus flagrant si on considère la médiane :

  • La moitié des logements classés C consomme plus de 195 kWh/an/m², et l’autre moitié moins. 
  • Et pour les logements labellisés F, la moitié consomme plus de 219 kWh/an/m² et la moitié moins.

Autrement dit, presque la moitié des logements F consomment moins que la moitié des logements C !

DPE vs consommation réelle de 462 logements, avec consommation moyenne et médiane pour les classes comportant au moins 20 logements

Que signifie cette différence importante entre moyenne et médiane pour la classe F ? La consommation moyenne de cette classe est tirée vers le haut par quelques rares logements très énergivores, mais la plupart des logements de cette classe a une consommation comparable aux logements des autres classes, ce que reflète la médiane.

On voit que (dans les classes les plus courantes C à F) même en moyenne, les logements avec un DPE plus élevé ne consomment pas beaucoup plus que les logements avec un DPE plus faible.

Pourquoi les logements moins bien notés ne consomment pas beaucoup plus ?

Comme dit dans l’étude originale, une possibilité serait que le DPE soit mal conçu ou mal appliqué. Une autre hypothèse serait que les usages varient de façon à contrer l’impact de la performance énergétique du logement.

Kézaco ? Par exemple, peut-être que les logements F ne consomment pas plus que les logements C parce qu’ils sacrifient leur confort pour chauffer moins. On rejoint là l’idée de précarité énergétique.

Une autre formulation de cette dépendance entre isolation et usages est l’effet rebond, qui part du constat qu’après des travaux de rénovation, le confort augmente mais la consommation ne diminue pas autant qu’espéré.

On voit donc que ces résultats ne sont pas nécessairement en contradiction avec l’intérêt des DPE ! Le DPE est un indicateur de la performance énergétique du logement, qui a un impact sur la consommation mais également sur le confort des habitants.

Qu’observe-t-on en termes de dispersion ?

En statistiques, on distingue les indicateurs de tendance centrale, comme la moyenne ou la médiane, et les indicateurs de dispersion comme la variance, l’écart-type ou l’écart interquartile.

Là où les indicateurs de tendance centrale lissent les disparités pour indiquer des tendances, les indicateurs de dispersion permettent de quantifier la proximité des mesures.

Le graphique suivant donne, pour chaque classe DPE, la consommation médiane mais aussi les premiers et troisièmes quartiles, et les 5ème et 95ème percentiles.

DPE vs consommation réelle de 462 logements, avec une boîte à moustaches pour les classes comportant au moins 20 logements

On voit immédiatement que la différence de médiane entre les classes est insignifiante par rapport à la très grande variance au sein d’une même classe. Une explication possible est que les habitudes de consommation d’une personne à l’autre sont tellement grandes que finalement le DPE n’a que peu d’influence sur la consommation.

On voit également que plus la classe DPE est mauvaise, plus l’incertitude est grande.

Que peut-on dire à une personne qui aurait un DPE C ? On peut lui dire qu’elle a une chance sur deux que sa consommation soit comprise entre 137 et 234 kWh/an/m².

Mais que dire à une personne qui aurait un DPE F ? Elle a une chance sur deux que sa consommation soit entre 107 et 387 kWh/an, ce qui est une fourchette énorme, et il reste tout de même une chance sur deux qu’elle soit hors de la fourchette !

Autrement dit, un quart des logements F consomment moins de 107 kWh/an/m², ce qui est le seuil entre les classes B et C !

Faut-il modifier le DPE pour qu’il reflète mieux la consommation ?

On a établi la pertinence de comparer DPE et consommation, et on a établi que le DPE était un mauvais prédicteur de la consommation, aussi bien de façon absolue (le DPE est souvent éloigné de la consommation) qu’en moyenne (les logements mal classés ne consomment pas beaucoup plus que les logements bien classés).

Quelles conclusions en tirer ? Jusqu’en 2021, Les DPE pouvaient utiliser la méthode sur facture qui par définition correspondait exactement à la consommation. Quelles seraient les conséquences d’un retour à la méthode sur facture ?

Une des principales variables qui n’est pas prise en compte par le DPE est l’intermittence : une résidence secondaire mal isolée (par exemple un chalet de montagne) aura une consommation moyenne basse donc un très bon DPE sur facture, mais un mauvais DPE 3CL. Si on se fonde sur les DPE pour prioriser les rénovations énergétiques, cela signifie : 

  • En se basant sur le DPE 3CL, on rénove en priorité les logements mal isolés, peu importe qu’ils soient utilisés de façon saisonnière ou non
  • En se basant sur la consommation ou un DPE sur facture, on rénove en priorité les logements qui consomment le plus

Le choix entre ces alternatives est politique par nature, et il n’est présenté ici que de manière simplifiée et comme une expérience de pensée. Notamment le DPE est certes utilisé dans plusieurs domaines et notamment l’identification des passoires thermiques, mais les travaux de rénovation sont précédés d’un audit énergétique qui obéit à des règles différentes et est beaucoup plus précis.

De nombreuses autres variables entrent en compte comme le confort des occupants, les possibilités de fraude, la qualité des DPE 3CL, les autres usages résidentiels de l’énergie comme le chauffage des piscines ou le rechargement des véhicules électriques.

En conclusion

Hello Watt, par sa position a la chance d’avoir accès simultanément aux données de consommation et DPE pour un grand nombre de logements, mais notre jeu de données peut comporter des biais difficiles à quantifier. Comme relevé par Libération, notre échantillon n’est pas représentatif de la population, par exemple il se compose uniquement de logements ayant réalisé un DPE récemment, et on peut supposer que les utilisateurs de l’application Hello Watt sont plus soucieux de leur consommation énergétique. Notre base de données contient peut-être également moins de résidences secondaires qu’attendu, ce qui pourrait biaiser les résultats.

Même en supposant que notre échantillon n’est pas biaisé, le lien entre performance du logement et consommation est complexe, donc beaucoup de phénomènes pourraient expliquer la disparité entre DPE et consommation, aussi bien pour les logements individuels qu’en moyenne.

Divers acteurs analysent chaque composante de cette chaîne, des propriétés des matériaux isolants à l’influence des rénovations sur le comportement (effet rebond) en passant par la répétabilité des diagnostics.

Il est dans l’intérêt de notre planète et dans notre intérêt à tous, Hello Watt, particuliers, diagnostiqueurs et pouvoirs publics d’agir sur les variables qui sont à notre portée :

  • Améliorer l’information aux usagers sur leur consommation réelle et future
  • Inciter à améliorer le confort des logements et réduire leur consommation
  • Maximiser la fiabilité des diagnostics
  • Lutter contre la précarité énergétique

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